Modéliser l’Impossible : L’IA de Prièste cartographie en temps réel le transport informel d’Abidjan

Pour quiconque vit ou travaille à Abidjan, le défi de la mobilité est une réalité quotidienne. Le système de transport de la ville est un paradoxe : il est à la fois incroyablement résilient et profondément chaotique. À côté des bus formels, le véritable sang de la métropole circule dans les veines des “Gbakas” (minibus) et des “Woro-woro” (taxis communaux). Ces milliers de véhicules constituent le système nerveux de l’économie, mais ils opèrent dans un angle mort quasi total pour les urbanistes et les analystes de données.

Leurs itinéraires ne sont pas fixes ; ils s’adaptent à la demande, aux embouteillages, voire à l’humeur du chauffeur. Comment, dès lors, planifier des infrastructures, optimiser la logistique ou simplement comprendre les flux de la ville si son principal mode de transport est, par définition, “invisible” ?

Ce mois-ci, le Lycée et École Supérieure Prièste lève le voile sur cet angle mort. Nous sommes fiers de présenter les résultats d’un projet de recherche conjoint de neuf mois, mené par nos étudiants du MSc in AI & Data Science et du MSc in Cybersecurity & IoT Systems. Le résultat : la première cartographie dynamique haute-fidélité du transport informel d’Abidjan.

Le Défi : Capter une Donnée qui n’Existe Pas

Les outils de cartographie standards, comme Google Maps ou Waze, excellent pour modéliser des réseaux fixes. Ils échouent face au système abidjanais, car il n’existe aucune base de données centrale des itinéraires de Gbakas.

“Le problème n’était pas d’analyser les données, mais de les créer”, explique le Dr. Samuel N’Guessan, qui supervise notre pôle Ingénierie et Systèmes Intelligents. “Nous ne pouvions pas modéliser le chaos sans d’abord le mesurer.”

La première phase du projet a donc été une opération d’ingénierie de terrain. Nos étudiants en IoT ont conçu et fabriqué 150 traceurs GPS “frugaux” : des boîtiers autonomes, à bas coût, équipés de puces GPS et d’une connectivité LoraWAN, conçus pour résister aux conditions difficiles (chaleur, vibrations) des Gbakas.

Le défi n’était pas que technique. Il a fallu négocier et convaincre plusieurs syndicats de chauffeurs des communes de Yopougon et d’Abobo de participer. Certains capteurs ont été débranchés par des chauffeurs méfiants, d’autres ont été perdus dans les pannes mécaniques. Ce fut un apprentissage difficile sur l’importance de l’acceptabilité sociale de la technologie. Mais après plusieurs ajustements, une centaine de capteurs ont commencé à émettre, 24 heures sur 24.

L’IA pour Révéler les “Autoroutes Fantômes”

La seconde phase a été le défi du Pôle IA (PAD-Lab), dirigé par le Dr. Aminata Diop. Chaque jour, des millions de points de données brutes étaient reçus. Une simple visualisation de ces points ne montrait qu’un “gribouillis” chaotique sur la carte d’Abidjan.

“Un Gbakas ne suit pas une ligne, il suit une ‘probabilité’ d’itinéraire,” explique le Dr. Diop. “La question académique était : comment passer d’une multitude de points GPS individuels à une compréhension collective du système ?”

Nos étudiants du MSc in AI & Data Science ont dû abandonner les modèles de trafic classiques. Ils ont appliqué des algorithmes de clustering non supervisé (principalement DBSCAN et OPTICS) pour “découvrir” les itinéraires. L’IA a commencé à dessiner des “corridors” que personne n’avait jamais formalisés : les “autoroutes fantômes” des Gbakas.

Ils ont ensuite superposé ces corridors à l’heure de la journée. Les résultats ont révélé des schémas fascinants. Par exemple, le “Grand Carrefour de Koumassi” n’est pas un seul point de congestion, mais un système complexe de micro-déviations qui changent radicalement entre 7h et 9h du matin.

Du Modèle à l’Action : Une Révolution pour l’Urbanisme

Ce projet, qui fait l’objet d’un rapport complet remis aux autorités de la mobilité urbaine, n’est pas un simple exercice académique. Il offre des outils concrets :

  1. Une Cartographie Prédictive : Nous avons développé un modèle de Machine Learning capable de prédire, avec 30 minutes d’avance, la formation de “points de saturation” du réseau informel.
  2. Optimisation pour la Logistique : Pour notre Pôle Commerce International, ces données sont cruciales. Les entreprises de livraison formelles peuvent désormais visualiser les “essaims” de Gbakas en temps réel et optimiser leurs propres itinéraires pour les éviter, réduisant ainsi leurs coûts de carburant.
  3. Urbanisme Basé sur la Preuve : Pour la première fois, les urbanistes disposent d’une carte réelle des flux. Ils peuvent identifier les zones où le besoin de stations de bus formelles est le plus criant, ou les carrefours où une simple modification de la signalisation (basée sur les flux réels et non théoriques) pourrait décongestionner des quartiers entiers.

Le Lycée et École Supérieure Prièste ne se contente pas d’enseigner l’IA ou l’IoT dans l’abstrait. Nous les appliquons pour résoudre les problèmes les plus fondamentaux de notre cité. Nous avons rendu visible l’invisible, et ce faisant, nous avons fourni un outil stratégique pour penser l’Abidjan de demain.


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