Le véritable pouls économique d’Abidjan ne bat pas seulement dans les tours de verre du Plateau. Il bat dans les “maquis” de Yopougon, sur les étals du marché de Treichville, et dans les ateliers des artisans de Koumassi. Cet immense secteur, dit “informel”, est le moteur de la vie ivoirienne. Pourtant, pour les analystes financiers, les assureurs et même les décideurs politiques, il demeure un “angle mort” statistique, une zone grise complexe à quantifier et donc difficile à financer.
Ce mois-ci, le Lycée et École Supérieure Prièste, via son programme phare de MSc in Business Analytics & Transformation Digitale, apporte une contribution décisive à la compréhension de cet écosystème. Nos étudiants de la nouvelle promotion, dans le cadre de leur “Projet Sprint” inaugural, viennent de livrer les résultats d’une analyse de données sans précédent sur les flux financiers du secteur informel.
Le Défi : Rendre l’Informel Lisible
La question posée à nos étudiants était complexe : comment évaluer la santé financière, la saisonnalité et le risque de crédit d’une entité qui n’a ni bilan comptable, ni registre de commerce ?
En partenariat stratégique avec la “Mutuelle Ivoirienne de Micro-Finance” (MIMFI), une institution partenaire de premier plan, nos étudiants ont obtenu un accès sécurisé et entièrement anonymisé à un jeu de données massif : plus de 5 millions de transactions Mobile Money (monnaie électronique) agrégées sur 12 mois, issues d’un panel de micro-entrepreneurs clients de la MIMFI.
Ce projet n’était pas un simple exercice académique. Il était supervisé conjointement par le Dr. Hélène Konan, notre experte en finance et droit OHADA, et le Dr. Aminata Diop, responsable de notre Pôle IA (PAD-Lab). Cette double supervision était cruciale : il ne s’agissait pas seulement de “faire parler les chiffres” (l’aspect IA), mais de comprendre ce qu’ils signifiaient dans le contexte légal et financier ivoirien (l’aspect Business).
La Méthodologie : Du Chaos de Données aux Profils de Risque
Les données brutes étaient, comme on pouvait s’y attendre, chaotiques. Des milliers de petites transactions, sans libellé clair, souvent effectuées à des heures irrégulières.
“Le premier obstacle était de nettoyer et de catégoriser”, explique une étudiante du MSc. “On ne peut pas appliquer un modèle de credit scoring bancaire classique à une vendeuse d’Alloco (bananes plantain frites).”
L’équipe a donc dû innover. En utilisant des algorithmes de clustering non supervisé (principalement K-Means et DBSCAN), ils ont réussi à regrouper les profils de transaction. Ils ont ainsi pu faire émerger, sans information préalable, différentes “signatures” d’activités :
- Le Profil “Vente Alimentaire” : caractérisé par de très nombreuses petites transactions entrantes en journée, et une grosse transaction sortante le matin (l’achat des matières premières).
- Le Profil “Artisan/Services” : des entrées plus importantes mais moins fréquentes, avec des pics d’activité en fin de semaine.
- Le Profil “Transport” (Woro-Woro/Gbaka) : un flux quasi constant de micro-paiements.
Une fois ces profils établis, les étudiants ont appliqué une analyse de séries temporelles (time-series) pour modéliser la saisonnalité. Les résultats ont confirmé ce que le terrain suspectait, mais que personne n’avait pu chiffrer : l’impact direct de la saison des pluies. L’analyse a démontré que l’activité des “Profils Alimentaires” chutait en moyenne de 28% les jours de pluies intenses, tandis que les “Profils Services” étaient moins affectés.
Des Résultats Concrets pour la Micro-Finance
Ces travaux ne resteront pas dans un tiroir. Les modèles de prédiction et les segmentations développés par nos étudiants ont été présentés la semaine dernière aux gestionnaires de risque de notre partenaire, la MIMFI.
Ces résultats vont permettre à la mutuelle de s’éloigner d’une approche de “garantie unique” pour aller vers une offre de micro-crédit dynamique. Concrètement, la MIMFI peut désormais concevoir des produits financiers adaptés : des crédits “saisonniers” plus souples pour les vendeuses de nourriture pendant la saison des pluies, ou des prêts “investissement” à décaissement rapide pour les artisans en fin de semaine.
C’est là toute la mission de notre École Supérieure Prièste : nous ne formons pas des data scientists en chambre. Nous formons des “traducteurs stratégiques”, capables de maîtriser la technique (Python, SQL, Machine Learning) pour la mettre au service d’un besoin économique réel et local.
Ce projet prouve que le Big Data n’est pas l’apanage des géants de la Silicon Valley ; il est un outil puissant pour l’inclusion financière, ici même, à Abidjan.

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