Pour tout entrepreneur à Abidjan, du propriétaire d’une boulangerie à Koumassi au gestionnaire d’un data center au Plateau, le mot “délestage” (coupure de courant) n’est pas un simple désagrément. C’est un risque économique majeur. Une coupure imprévue, c’est une chaîne de production arrêtée net, des serveurs qui s’effondrent, des équipements sensibles endommagés par la surtension du retour. Le véritable ennemi n’est pas seulement l’absence d’électricité, c’est son imprévisibilité.
Ce mois-ci, le Lycée et École Supérieure Prièste apporte une contribution décisive, non pas à la production d’énergie, mais à sa gestion intelligente. Notre Pôle “Ingénierie et Systèmes Intelligents”, en collaboration étroite avec le Pôle “Sciences Informatiques et IA” (PAD-Lab), a finalisé un projet de recherche de 12 mois qui pourrait changer la donne pour la résilience des PME ivoiriennes.
Le résultat : un algorithme de maintenance prédictive, capable d’anticiper une coupure de courant locale non planifiée avec un préavis moyen de quinze minutes.
L’Ingénierie Frugale au Service de la Donnée
Le projet a été dirigé par le Dr. Samuel N’Guessan, notre Professeur Associé en Systèmes Énergétiques et IoT. Son point de départ était un constat simple : “On ne peut pas gérer ce qu’on ne peut pas mesurer.” Les données du réseau électrique national sont, pour des raisons évidentes de sécurité, complexes d’accès. Et même si elles l’étaient, elles sont souvent trop macroscopiques pour prédire une défaillance de quartier.
“L’instabilité ne se voit pas à l’échelle nationale, elle se détecte au niveau de la rue,” explique le Dr. N’Guessan. “Nous devions créer notre propre réseau de collecte de données.”
Plutôt que d’attendre l’accès à une infrastructure centralisée, nos étudiants du MSc in Cybersecurity & IoT Systems ont adopté une approche “d’ingénierie frugale”. Ils ont conçu et fabriqué 30 capteurs IoT (Internet des Objets) à bas coût. Ces boîtiers, équipés de puces non invasives, ont été déployés pendant six mois au sein d’un panel de 15 PME partenaires (allant de l’agro-alimentaire à l’imprimerie numérique).
Leur mission : enregistrer, non pas la consommation, mais la qualité du courant : micro-fluctuations de tension (Volt), variations de fréquence (Hertz) et pics de charge, seconde par seconde.
De la “Friture” Numérique à la Prédiction par IA
Les données brutes collectées étaient, pour un œil non averti, un simple “bruit” numérique. C’est là que l’expertise du PAD-Lab est intervenue.
Les gigaoctets de données de séries temporelles ont été transmis à l’équipe du Dr. Aminata Diop (Pôle IA). Les étudiants du MSc in AI & Data Science ont été mis au défi : trouver, dans ce chaos de signaux, des “signatures” prédictives.
“Un réseau électrique qui va s’effondrer ne le fait pas d’un coup,” précise le Dr. Diop. “Il ‘prévient’. Il envoie des signaux faibles : une instabilité de fréquence, une série de micro-baisses de tension… C’est comme le pouls d’un patient avant une crise cardiaque. L’humain ne le voit pas, mais un algorithme de Machine Learning (apprentissage automatique) peut y être entraîné.”
Après des mois de modélisation et de tests (utilisant des modèles de réseaux neuronaux récurrents, ou LSTM, spécialisés dans le temps), l’algorithme a commencé à faire ses preuves. L’équipe a atteint un taux de fiabilité de 85% dans la prédiction d’une défaillance locale imminente.
15 Minutes qui Changent Tout
Le résultat final est un “Proof of Concept” (PoC) sous la forme d’un tableau de bord : le “Moniteur Prièste”. Pour les PME partenaires participant au test, un voyant passe de vert à orange, puis à rouge, déclenchant une alerte sur le téléphone du responsable de la maintenance.
Quinze minutes, cela peut sembler peu. Mais dans le monde industriel, c’est une éternité.
“Quinze minutes, c’est le temps qu’il faut pour arrêter proprement une ligne d’extrusion de plastique, pour finaliser une transaction bancaire critique, ou pour basculer en toute sécurité sur un groupe électrogène avant que la coupure ne corrompe les systèmes,” explique le gérant d’une PME partenaire. “Nous ne subissons plus le ‘choc’ ; nous gérons une ‘procédure’.”
Ce projet illustre parfaitement la mission du Lycée et École Supérieure Prièste. Nous n’avons pas résolu la crise énergétique, ce n’est pas notre rôle. Mais nous avons créé un outil intelligent, né à Abidjan, qui utilise la haute technologie (IA et IoT) pour offrir un bouclier de résilience concret à notre tissu économique.
Les résultats de cette recherche seront présentés ce trimestre aux associations industrielles ivoiriennes et à la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE), non pas comme une critique, mais comme une proposition de collaboration pour un réseau plus intelligent et prédictif.

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